Corliande

Auto édition

Auto édition

10 novembre 2012

Chronique disque - Yôkaï

Anne Paceo
Yôkaï
(Laborie - Abeille musique)

Il serait bien naïf et optimiste en ces temps moroses de dire que la féerie est partout, en dépit de ce que la multiplication d’images censées la représenter voudrait nous faire croire. Il est vrai toutefois qu’elle prend un malin plaisir à venir se nicher là où on ne l’attend pas et c’est souvent alors que, nous prenant au dépourvu, elle nous charme le plus. La voici donc, exubérante et ardente invitée d’un combo de Jazz. Ce n’est pas la première fois. J’ai le souvenir d’Yves Rousseau et de son « Fées et gestes » où encore d’ « Eowyn » par le trio Levallet, Marais, Pifarely. Toutefois cette alliance reste assez rare. En baptisant « Yôkaï » son troisième enregistrement, le premier avec son quintet, Anne Paceo trouve donc tout naturellement sa place dans ce blog.



Les yôkaï, ce sont des créatures surnaturelles, esprits et autres figures mythologiques propres à la culture japonaise, présents notamment chez le grand cinéaste Hayao Miyazaki. Présents, probable qu’ils le furent aussi en grand nombre autour du berceau de cette jeune et talentueuse musicienne, même si cela suppose qu’ils aient traversé les frontières pour aller s’ébattre au son des tambours d’Afrique, lieu de sa naissance. Ils n’y étaient pas seuls, du reste, car elle nous le dit elle-même: Toutes les fées étaient là. A l’écoute de ce très bel album, et après avoir pu l’admirer sur la scène du New Morning, on ne peut que la croire. 
 L’Asie a donc pour une bonne part influencé ses compositions. Outre le morceau titre, le temple Shwedagon en Birmanie  lui a inspiré le fabuleux thème qui ouvre le disque (joué deux fois en concert pour notre plus grand plaisir, avec la participation exceptionnelle du percussionniste cubain Inor Sotolongo !). Une figurine achetée là bas, et douée de cette étrange force positive habitant parfois certains objets, est devenue le subtil Little Bouddha, avec les modulations et les glissandi magiques de Antonin-Tri Hoang au saxophone alto et de Pierre Perchaud à la guitare. Quant à son travail d’enseignante dans cette même Birmanie, dont il faut se souvenir qu’elle était une dictature pour mieux en apprécier le texte, il est évoqué à travers la chanson Smile, ode raffinée au pouvoir réparateur de la musique. C’est l’occasion pour Anne, toujours virtuose mais sobre à la batterie, comme dans Crunch, par exemple, de nous faire entendre aussi sa voix limpide (sur scène, vrai petit moment de grâce auquel une légère fragilité de débutante ne nuit nullement). Mais l’Afrique, encore elle, remonte à la surface, dans ce solo qui annonce un retour souvenir au pays natal : Talking drums. Et puis le reste du monde : In my country, When the sun rises, autant de célébrations d’endroits, de sensations et de personnes rencontrées tout au long d’une trajectoire déjà impressionnante. Il ne faudrait pas croire pour autant que nous avons affaire à un simple carnet de routes. Le travail remarquable sur la matière sonore, auquel participe chaque instrument, fait apparaître à nos yeux de multiples tableaux, dont la provenance n’est pas toujours si évidente. Nulle de ces cartes postales trop souvent livrées par un métissage culturel devenu banal n’est à attendre ici. Si ces voyages nous enchantent, c’est parce qu’ils sont rêvés tout autant que vécus. L’imaginaire n’est jamais très loin, et il est universel. Ainsi, Luleå raconte moins la froidure et l’obscurité de l’hiver au nord de la Suède que l’atmosphère qu’il suscite et ce qu’elle imprime dans l’âme d’une étrangère de passage. Et c’est sur le rêve enfin que se clôt l’album, superbement, avec le très onirique Entre les gouttes.
En concert, même lorsque les morceaux nous sont déjà connus, l’inattendu de ces escapades nous surprend presque à chaque pas. C’est à une cérémonie particulièrement vivante que nous convie le quintet d’Anne Paceo. La gamine délurée et bavarde qui faire rire la salle entre chaque morceau devient confondante de précision et de fougue dès les premières mesures, et son sourire quasi permanent donne une preuve éclatante de son bonheur à partager ce moment avec nous. On savait depuis le trio Triphase que le pianiste Leonardo Montana était son partenaire idéal, il le prouve cette fois encore. Quant à Stéphane Kerecki, un des tous meilleurs bassistes de sa génération, on ne le présente plus. Si l’ensemble est si réussi, et l’osmose parfaite, c’est aussi qu’elle s’est entourée de musiciens à la fois ouverts et dotés de très fortes personnalités, qui se sont illustrés avec brio dans d’autres contextes (en leaders ou sidemen, avec Denis Colin, Tony Malaby, John Taylor, Bojan Z, Benoit Delbecq, ou encore l’ONJ de Daniel Yvinec) et sont capables de la suivre aisément dans ses excursions sonores, à travers ces contrées réelles ou fantasmagoriques, sans perdre de leur inventivité, en toute liberté. 

Lire ou télécharger ici la version imprimable de cet article

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire